Que vous écriviez des récits réalistes ou des récits qui relèvent des littératures de l’imaginaire, vous devrez toujours construire / reconstruire un univers à partir d’éléments que vous aurez glanés ou créés de toutes pièces, sachant que la pure création n’existe pas vraiment. Il s’agit toujours d’associer des éléments qui n’ont pas forcément l’habitude de l’être. Descartes le disait clairement : l’être humain ne peut pas vraiment inventer/ créer – seul dieu peut le faire, selon lui -, en revanche, l’être humain associe.

Les auteurs qui écrivent des récits réalistes ont tendance à croire qu’ils peuvent se passer d’un univers construit. Même si vous décidez d’écrire un récit qui se passe aujourd’hui et qui a pour cadre le lieu dans lequel vous vivez, vous devrez planter le décor, créer un contexte, rappeler les règles de fonctionnement du monde (celles qui sont utiles à la compréhension de votre histoire). Vous le ferez plus ou moins en fonction du genre dans lequel vous écrivez. Un récit psychologique qui prendrait la forme d’un huis clos se déroulant dans un appartement n’appelle pas la création d’un univers très étoffé, a priori, alors qu’un récit de conquête spatiale vous demandera d’imaginer et de nous donner à voir un ou plusieurs mondes très étoffés.

Dans les littératures de l’imaginaire, la création d’un univers riche, surprenant, jamais vu, est une attente forte du lectorat. Il s’agit bien de plonger le lecteur dans un monde au sein duquel les repères ont changé et ce, à tous les niveaux. Même si on le sait bien : ces littératures nous parlent surtout de notre réalité, même avec des sorciers, des gnomes et des elfes. Les conflits qui traversent les histoires et les règles de fonctionnement des univers de fantasy ou de science-fiction traduisent notre façon de voir notre monde réel mais aussi nos envies, nos fantasmes, nos peurs profondes, etc.

Voici ma checklist des aspects de votre univers sur lesquels vous devriez vous pencher avant d’écrire la première version de votre histoire (sachant que l’univers se déploiera aussi en écrivant, il est toujours bon de penser ses aspects fondamentaux avant de se lancer). NB : cette liste n’est pas exhaustive.

Quelques points essentiels

  • La temporalité du récit : à quelle époque se situe votre histoire ? Le choix de l’époque déterminera potentiellement le genre de votre histoire (récit historique, uchronie, science-fiction, etc). Déterminez également sur combien de temps se déroulera votre intrigue : plusieurs jours ? plusieurs années ? Plus encore ? Attention : plus la temporalité est longue, plus cela vous demandera de surveiller les incohérences potentielles entre les différents moments de votre histoire. Des histoires longues demandent de la rigueur dans le traitement de la temporalité, de la succession des événements. Le risque est de se perdre dans sa propre chronologie (dans ce cas, faire une frise chronologique peut être utile, comme dans un livre d’histoire).
  • Les lieux : c’est l’un des aspects les plus importants, qui déterminera les conflits potentiels et toute la galerie de personnages que l’on pourra trouver dans votre histoire. Si vous écrivez de la fantasy et que vous choisissez de raconter une histoire ayant pour cadre une forêt, on ne trouvera pas le même genre de personnages que dans un récit réaliste se déroulant dans une tour à Manhattan. Quitte à enfoncer des portes ouvertes, la cohérence reste le maître mot. Par ailleurs, il s’agit bien d’être précis dans la description des lieux. Les détails jouent un rôle clef puisqu’ils révéleront ces lieux. Il vous faudra sans doute vous documenter, que vous écriviez un récit réaliste ou relevant de l’imaginaire. Ce que je constate, notamment dans les romans qu’on me fait lire, c’est que les lieux ne sont pas suffisamment visibles, montrés, décrits. L’auteur n’a pas été assez loin et nous donne à voir quelque chose de plus ou moins stéréotypé. Vous portez chacun un regard unique sur un lieu que vous avez traversé : donnez-nous à voir ce regard unique. Si votre personnage entre dans un bâtiment, donnez-nous à voir ce que vous, vous voyez lorsque vous entrez dans un bâtiment. Bien sûr, la question de la mise en scène est liée à l’objectif de la scène et du personnage / des personnages qui sont dans cette scène (un lieu est-il vu à travers les yeux de mon personnage principal ou d’un personnage secondaire ? Quel est son objectif dans cette scène et que dois-je montrer pour dévoiler la stratégie de mon personnage en vue d’atteindre son objectif dans la scène ?). Il s’agit bien de montrer les pans de votre univers en fonction de votre intrigue, de ce que vous voulez montrer pour que l’histoire avance. Tous les aspects de votre histoire sont intrinsèquement liés. N’oubliez pas que la description des lieux (dans un roman ou un scénario) vous permettra de créer des ambiances et donc, de véhiculer des émotions. Un personnage qui entre pour la première fois dans une maison hantée ressentira de la peur. Cette peur sera palpable si le lecteur traverse ces lieux avec votre personnage, remarque des détails effrayants, entend des bruits inquiétants, etc. C’est à vous de sélectionner l’élément qui servira votre histoire / le développement de vos personnages, ces détails qui véhiculeront des émotions ou des informations sur l’univers dans lequel ils évoluent.
  • Les personnages : je ne m’étendrai pas là-dessus car j’ai écrit d’autres articles sur le développement des personnages (ainsi que des vidéos). Il s’agit ici d’élaborer vos personnages contextuels, ceux qui habitent les différents lieux de votre univers. Soignez ces personnages car ils dévoileront des pans de votre univers et son mode de fonctionnement, ce qui permettra à vos lecteurs de se plonger davantage dans votre histoire.
  • Les règles de fonctionnement de l’univers : votre histoire s’inscrit-elle dans un cadre réaliste au sein duquel le monde fonctionne comme le monde réel ? Si c’est le cas, vous devrez tout de même décrypter ces règles pour nous les montrer / dévoiler. C’est ce que fait Balzac lorsqu’il peint la vie parisienne ou la vie de campagne : il dévoile les règles implicites qui régissent les relations sociales. Dans les Illusions perdues, il révèle les clivages sociaux de la ville d’Angoulême, par exemple, clivages qui se retrouvent dans la géographie des quartiers, le haut et le bas Angoulême.  Dans les littératures de l’imaginaire, la rigueur et la cohérence liées aux règles de fonctionnement de vos mondes est essentielle. Vous allez devoir nous montrer comment fonctionnent les mondes que vous avez créés : quels pouvoirs détient-on ? Qui les détient ? En matière de narration, l’idée est bien de distiller ces règles au fil du récit. On ne peut pas tout montrer tout de suite. C’est l’intrigue qui nous permettra de comprendre, au fil de l’eau, comment fonctionne votre univers. Veillez également à être clairs et répondez systématiquement à la question du « comment », du « pourquoi » et du « jusqu’où » ? Exemple : votre personnage principal peut voler. Vous allez devoir montrer comment un être humain en est capable (via une combinaison spéciale ? via un pouvoir psychique ? via un sort qu’on lui a jeté ? etc.), pourquoi (ce don a-t-il un sens dans votre histoire ? Quelle est l’origine de ce don ? Ce don sert-il un plan plus large, celui d’une force supérieure qui aurait attribué ce don à certains êtres en vue d’accomplir quelque chose ? ), jusqu’où (votre personnage principal peut-il voler indéfiniment ? Ce don finira-t-il par disparaître et si c’est le cas, dans quelles conditions ?). En répondant à toutes ces questions, non seulement vous approfondirez la caractérisation de vos personnages, mais vous trouverez aussi des conflits potentiels qui généreront une intrigue, des conflits, des rebondissements, etc.

Les différentes facettes de votre univers 

En fonction de l’histoire et du genre que vous écrivez, il y a de nombreux aspects à passer au crible. Ne les négligez pas car vous verrez qu’ils vous fourniront des intrigues et des conflits potentiels que vous n’auriez peut-être pas imaginé au départ.

  • Le système politique : quand on étudie la philosophie politique, on sait qu’un système façonne les êtres et génère des conflits spécifiques. Votre univers est-il régi par une dictature ? Une démocratie ? Une confédération ? La question du pouvoir est essentielle. Qui le détient ? Quel est le but des plus hautes instances politiques ? Les individus sont-ils divisés ? Opprimés ? Lobotomisés (c’est gai, tout ça) ? Ou valorisés ? éduqués ? etc. N’oubliez pas que les conflits qui taraudent vos personnages se retrouvent, bien souvent, au niveau le plus élevé de la société, au niveau des forces politiques qui s’opposent au sein de votre histoire (Autrement dit, vos personnages portent en eux les conflits du monde dont ils sont issus).
  • La géopolitique : il est essentiel de réfléchir aux relations qui lient des puissances étrangères entre elles. Surtout dans certains genres de science-fiction (type space opera : des mondes s’affrontent, il s’agit donc de comprendre ce qui les unit et ce qui les oppose). Si vous écrivez une histoire réaliste sur des questions énergétiques, par exemple, il y aura lieu de penser les conflits à l’échelle globale, avec tous les acteurs en présence.
  • La culture / les mœurs : les personnages de votre univers ont-ils accès à la culture ? A quoi ressemble cette dernière ? Comment le savoir est-il transmis ? Beaucoup de récits s’intéressent à la disparition des livres, par exemple (Farenheit 451). Vos personnages se réunissent-ils autour d’événements singuliers ? (des fêtes, des commémorations, des rituels, etc). Quelles sont les règles qui régissent les mœurs ? Si vous racontez une histoire dans laquelle les filles et les garçons ne peuvent pas grandir ensemble, par exemple, vous voyez bien que vous trouverez des conflits sous-jacents : une fille voudra rencontrer un garçon et devra enfreindre des règles plus ou moins tacites pour le retrouver chaque soir à l’insu des autorités.  
  • La langue : certains auteurs inventent des langues (un travail de titan, vous l’imaginez bien. Cf Tolkien). Sans aller jusque-là, vous devrez vous interroger sur les langues utilisées dans votre histoire et de manière plus détaillée, les expressions clefs qui en diront long sur votre univers et sur vos personnages. Vous devez aussi nommer toutes les entités/lieux/objets qui peuplent votre monde, si vous le créez de A à Z, sans oublier que les noms sont porteurs de sens, d’un héritage donné et que vous pouvez jouer là-dessus pour construire les destinées de vos personnages.
  • Les modes de transport : comment se déplacent vos personnages ? Cette question peut, à elle seule, générer une intrigue avec des rebondissements. Si l’un de vos personnages veut en rejoindre un autre alors que la distance géographique qui les sépare est grande et les moyens de transports à disposition insuffisants, vous avez de la matière pour une histoire. Exemple : un personnage va se lancer dans un road-trip pour en retrouver un autre. Sauf que sa voiture va tomber en panne, qu’il va devoir trouver de l’essence, continuer à pied s’il le faut, traverser un lac à la nage, etc.
  • L’énergie / les ressources naturelles : la question de la maîtrise des ressources énergétiques est essentielle puisqu’elles permettent à des civilisations de naître, de se développer ou de s’éteindre. L’actualité ne cesse de nous montrer que l’énergie est au cœur de conflits majeurs. Demandez-vous toujours quelle est la source d’énergie qui alimente votre monde. Qui en a la maîtrise ? Cette source est-elle convoitée par d’autres personnes / peuples ? Y’a-t-il un conflit latent entre différents peuples au sujet d’une ressource convoitée ? Toutes les ressources naturelles peuvent faire l’objet d’un conflit (pétrole, eau, charbon ou des ressources que vous aurez imaginées, comme l’a fait Frank Herbert dans Dune, avec la fameuse épice).
  • Le climat / la géographie : là encore, se pencher sur le climat, c’est dénicher des conflits potentiels, donc des histoires. J’aime beaucoup ce film catastrophe, le jour d’après, qui montre comment un vortex polaire générant une nouvelle glaciation va générer du conflit, une reconfiguration du pouvoir et des équilibres géopolitiques. La géographie est essentielle : un peuple vivant dans les montagnes ne va pas vivre de la même façon qu’un peuple vivant au bord de la mer. L’important est de bien faire le lien entre la géographie, les mœurs, les personnages. Tout doit être cohérent, jusque dans les mentalités de vos personnages qui ont forcément été façonnées par les lieux dans lesquels ils vivent / ont grandi.
  • L’historique des mondes (la backstory de l’univers) : des conflits ont-ils opposé des gens / des peuples au sein de votre univers ? Cette question est essentielle car au début d’une histoire, il est souvent question de cela. Quelque chose s’est produit dans le passé (le lecteur ne sait pas encore quoi mais vous, auteur, vous devez le savoir). Ce conflit a créé des rancœurs qui ne passent pas et qui façonnent encore les relations entre les différents personnages / forces en présence. Peu à peu, les rancœurs du passé vont éclater à l’occasion d’un événement qui va nous permettre de comprendre d’où elles viennent. Il ne faut pas hésiter à faire une fiche sur l’historique des relations entre les principales entités qui agissent au sein de vos mondes. Vous verrez qu’en faisant cela, vous allez trouver des conflits potentiels, donc des histoires.
  • Les vêtements / la nourriture / les objets, etc : tout ce qui relève du quotidien doit être pensé également. Un plat traditionnel révèle une culture, des personnages, etc. Ne négligez pas ces aspects.
  • La religion / la spiritualité : vos personnages sont-ils croyants ? Sont-ils juifs, catholiques, musulmans, bouddhistes, animistes ? etc. Les questions religieuses ou spirituelles peuvent considérablement enrichir votre récit. Elles peuvent participer de ce « débat moral » mentionné par John Truby et montrer comment vos personnages se positionnent par rapport à de grandes questions d’ordre philosophique ou spirituel. Surtout, cet aspect génère, lui aussi, de nombreux conflits potentiels. Pour prendre la question de la religion, on peut le voir à travers des comédies comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? ou des récits plus dramatiques comme Unorthodox.
  • La technologie : dans les récits de science-fiction, la question du niveau d’avancement technologique est essentielle. Ce sont souvent différents degrés d’avancement qui génèrent des conflits (là encore). Dites-vous bien qu’une seule idée peut suffire à créer un bon récit de science-fiction. Dans Le meilleur des mondes d’Huxley, le récit met en scène un monde dans lequel les humains sont conçus in vitro, par exemple. Toute l’intrigue est bâtie sur cette « simple » idée.
  • La magie : dans une histoire de fantasy, la question de la magie doit être étudiée de près. D’où vient-elle ? Quelle est l’étendue des pouvoirs détenus par vos personnages ? Quelles grandes règles régissent votre monde magique ? Dans Harry Potter, l’une des grandes règles à ne pas enfreindre est liée à l’utilisation de la magie : les apprentis sorciers ne doivent pas utiliser leurs pouvoirs en présence des humains (les moldus). Vous voyez bien qu’en définissant une règle, vous générez de l’intrigue puisque lorsque cette règle sera brisée, cela aura des conséquences dans votre histoire.

En fonction de l’histoire que vous écrivez, vous pourrez aller dans des niveaux de détails que je ne peux pas aborder ici. La question de la monnaie, par exemple, voire de l’architecture. Dites-vous que vous devrez détailler des éléments en fonction de ce que vous racontez et des thématiques que vous traitez. Pour reprendre l’exemple d’Unorthodox, les cultes juifs orthodoxes y sont montrés car l’idée de cette mini-série est de montrer à quel point la religion, dans son aspect le plus rigoriste, peut être étouffante. Si vous racontez une histoire de pirates, il y aura lieu de détailler tout ce qui relève des vaisseaux, de la navigation, des lieux visités (des îles, par exemple).

Faites des fiches détaillées. Vous pourrez les compléter au fil de l’eau car vous le verrez : en écrivant votre histoire, des aspects insoupçonnés de votre univers surgiront d’eux-mêmes. Pour votre plus grand plaisir et celui de vos futurs lecteurs.

Pour finir, sachez que la création d’un univers est, au sein du travail d’écriture, ce qui prend le plus de temps (à part bâtir une intrigue, peut-être, si elle est très complexe). On peut passer des années à créer un univers. Le tout est de ne pas s’y perdre et, lorsqu’on est prêt, de le mettre en mouvement en bâtissant une intrigue et en créant des personnages qui ne peuvent être issus que de votre univers spécifique. De cette manière, tout sera lié et cohérent.


Pour voir des vidéos sur la question de l’univers :