Le propre d’une révélation est de créer une surprise, pour ne pas dire un choc dans l’esprit du lecteur / spectateur. Pour créer cet effet de surprise, un certain nombre de techniques doivent être mises en œuvre. Je détaille tout cela dans l’exemple qui va suivre.
Imaginons que je veuille écrire un polar. Mon personnage principal, un enquêteur solitaire un peu maussade, se lance sur la piste d’un serial killer. Jusque-là, rien de bien original.
Si j’ai envie de ménager une révélation de taille liée à mon personnage d’enquêteur, je vais d’abord devoir concevoir cette révélation avant même de me lancer dans l’écriture. C’est la première technique à mettre en œuvre : le choix d’une révélation « originale » / impactante. Ici, je vais choisir une révélation en lien avec la caractérisation de mon personnage principal, mais je pourrais choisir autre chose : une révélation sur le serial killer ou sur l’univers du récit, par exemple.
Je vais choisir de créer un personnage qui souffre d’un dédoublement de la personnalité (sans rentrer dans des considérations psychiatriques puisque ce n’est pas l’objet de mon article. En revanche, vous, en tant qu’auteur.ice, devrez faire des recherches sur ce point précis pour savoir comment se comportera votre personnage principal). Une fois que j’ai opéré ce choix, je ne le modifie plus. Rien de pire que de se lancer dans l’écriture et de revenir sur ses choix (on apprend toujours en faisant cette erreur, mais on perd aussi beaucoup de temps et d’énergie). C’est pour cette raison que j’insiste sur la nécessité d’un travail préparatoire à l’écriture d’un roman/scénario, notamment au niveau de la caractérisation d’un personnage.
Mon enquêteur sera donc « double » et j’ai envie que cet élément de caractérisation constitue une révélation finale qui créera un dernier rebondissement dans l’enquête.
La deuxième technique que je vais mettre en œuvre sera donc la dissimulation d’une information-clef sur mon personnage. Ici, la dissimulation d’un élément essentiel de sa caractérisation.
Comment faire ? C’est simple : je ne montre jamais la face cachée de mon personnage, j’évite donc d’écrire des scènes dans lesquelles cette facette serait dévoilée. Par exemple : des scènes où l’enquêteur est seul, fait une crise, a des comportements étranges, manigance quelque chose de louche.
Tout cela, je le garde pour plus tard. Mais, pendant, je dirais au moins 1/3 de l’enquête, voire la moitié (en fonction de ce qu’on veut montrer), je dissimule cette information. Sachez que même si vous la dissimulez, vous, en tant qu’auteur.ice, en êtes conscient, et votre façon de mettre en scène ce personnage s’en ressentira forcément, ce qui sera excellent pour commencer à instiller le doute dans l’esprit du lecteur. Votre conscience du caractère double du personnage sera comme un centre de gravité niché au cœur de votre personnage, qui le rendra presque mystérieux malgré lui, sans que vous ayez eu à dévoiler quoi que ce soit pour l’instant.
Ensuite, je mets en œuvre une troisième technique liée à la construction d’une révélation : la distillation de l’information. Si, à partir de la fin du premier tiers de l’histoire, je veux commencer à semer le doute sur mon personnage d’enquêteur, je vais insérer des moments, souvent très brefs, au début, au cours desquels son côté double sera palpable. Disons que le caractère double du personnage commencera à suinter à partir de ce qu’il dira ou fera.
Comment distiller l’information ? Puisque j’écris un polar, toutes les scènes d’enquête me permettent de le faire. Un geste, un mot étrange pendant un interrogatoire, le regard d’une autre enquêtrice qui observe quelque chose de louche chez son collègue enquêteur… Tout est possible, sachant que la règle est de délivrer de l’information qui ira crescendo, qui se précisera de plus en plus, qui deviendra de plus en plus flagrante. C’est à vous de déterminer comment construire ce crescendo : d’abord, un simple lapsus, puis un geste maladroit, puis un raisonnement étrange, puis une attitude inhabituelle, puis une scène au cours de laquelle la facette de l’enquêteur se verra un peu plus, etc.
Maintenant, si je veux que cette révélation en soit vraiment une, autrement dit, qu’elle ait du poids, qu’elle produise sont effet, je vais utiliser une quatrième technique qui consiste à connecter la révélation à la transformation du personnage principal.
Reprenons depuis le début. Mon enquêteur est double et, clairement, cela lui pose un sérieux problème car il doit constamment dissimuler ce trouble, au travail en premier lieu. Mon enquêteur aimerait être autrement, vivre mieux sa singularité, bref, cesser de devoir cacher son autre personnalité. Pendant une grande partie de l’enquête, il la cache très bien et puis, face à sa nouvelle collègue (dépêchée de Boston, ou d’une ville paumée dans l’Ohio ou le Wisconsin), il a de plus en plus de mal, car elle est plus futée que les autres, plus empathique. Et, avec elle, il aimerait se montrer tel qu’il est, car il a développé des sentiments pour elle (classique ? Oui, mais ça marche quand même, et ce sera mon intrigue secondaire). Le moment où la collègue identifie la pathologie de l’enquêteur peut constituer la scène de révélation finale. Dans ce cas, elle pourra, par exemple, prendre la forme d’un aveu ou d’un « flagrant délit pathologique ». À partir de ce moment-là, l’enquêteur ne peut plus dissimuler cette facette de sa personnalité. En fonction de la réaction de la collègue, ce moment constituera une libération (voire un rapprochement entre les deux personnages) ou une mise à l’écart si elle le condamne / le rejette (il faut voir en fonction de la gravité du dédoublement de personnalité et ses conséquences). Mais, dans les deux cas, l’enquêteur se transformera puisque sa pathologie aura été mise au jour et, de ce fait, son comportement changera. Il prendra même une décision après cette scène, celle de se montrer au grand jour, désormais, ou celle de vivre reclus, de quitter son job, etc. On voit donc que la révélation est un moment-clef pour le personnage, un moment qui le transformera puisqu’il le poussera à agir/se comporter différemment, désormais, à prendre une nouvelle décision pour sa vie.
Connecter la révélation et la transformation du personnage, c’est approfondir la caractérisation et accrocher davantage le lecteur. C’est construire un rebondissement qui aura plus d’impact, de profondeur puisqu’il atteindra le personnage principal (et n’aura pas seulement des conséquences sur l’enquête).
Il est aussi possible d’utiliser une cinquième technique, qui consiste à connecter la révélation et l’intrigue. C’est, d’ailleurs, encore mieux (et complémentaire de la technique précédente), surtout dans un polar.
Comment faire ? Mon personnage est double, je le rappelle, et je vais choisir d’en faire un élément de caractérisation négatif, un peu à la façon de docteur Jekyll et M. Hide. Puisque je suis dans un polar, mon enquêteur cherche un criminel. Je l’ai dit précédemment, il veut arrêter un serial killer. Et si cette révélation consistait à faire de l’enquêteur le serial killer ? Il enquête le jour et tue ses victimes la nuit. Il dissimule savamment ses meurtres grâce à ses connaissances de policier. Mais sa collègue le démasque et la grande révélation finale va non seulement dévoiler un élément de la caractérisation du personnage principal, mais aussi un élément fondamental de l’intrigue : l’identité du serial killer. Il s’agit bien d’un rebondissement pour l’intrigue et pour l’enquête puisque cette révélation va entraîner, par exemple : la perquisition du domicile de l’enquêteur, des interrogatoires de l’enquêteur lui-même pour trouver d’autres éventuelles victimes, etc. Grâce à cette révélation, je nourris et je relance l’intrigue une dernière fois, et ce, pour clôturer définitivement l’enquête.
Vous me direz peut-être qu’il ne s’agit pas d’une « grande révélation » ? Que vous attendiez mieux que cela ? Quelque chose de plus original ?
Je rappellerai que ce développement a une vocation pédagogique et ne prétend pas renouveler le genre. Ceci étant dit, si vous parvenez à maîtriser ces 5 techniques et choisissez de développer cet exemple, vous aurez un polar qui tiendra la route, et c’est déjà beaucoup !
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