Si l’on m’avait dit que je deviendrai conseil éditorial quand j’avais vingt ans, j’aurais sans doute jeté un regard perplexe à mon interlocuteur. J’aurais eu du mal à imaginer en quoi pouvait bien consister ce métier. Je ne savais même pas qu’il existait.

J’ai toujours eu la passion des livres, mais on m’a aussi inculqué cette idée fausse que l’écriture était un don, que les grands écrivains étaient des génies. Lorsque j’allais discuter avec mes professeurs de lettres pour leur poser les questions que personne ne posait, c’était, à peu de choses près, ce qui ressortait de nos conversations. J’ai fait trois ans de classes préparatoires littéraires et je n’ai jamais entendu un professeur nous encourager à écrire ou nous dire qu’écrire s’apprenait.

Lorsque j’y repense, je trouve ça aberrant, mais au fond, cela ne m’étonne qu’à moitié. Dans l’éducation à la Française, on vous fait comprendre de manière sourde et presque « inconsciente » que ce que vous pensez, souhaitez dire, n’a aucune importance. Ce qu’on attend de vous, c’est que vous puissiez ingurgiter des connaissances, les régurgiter au bon moment et de la bonne façon.

J’ai toujours adoré l’école car j’adorais apprendre. J’ai eu des profs géniaux qui savaient nous passionner et nous faire réfléchir. Mais un cadre reste un cadre et ces profs-là ne pouvaient pas révolutionner un enseignement qui restait cantonné à l’apprentissage des classiques.

Si je ne renie pas cet apprentissage, j’ai toujours pensé qu’il fallait le questionner et le dépasser. J’ai un esprit critique depuis que je suis née et j’ai longtemps cherché ma voix, le chemin à emprunter pour devenir une autrice. Aujourd’hui, mes étudiants s’étonnent d’apprendre que j’ai véritablement commencé à écrire vers l’âge de vingt-sept ans. Il m’a fallu ce temps-là pour déconstruire un certain nombre d’idées reçues. Je sais que certains s’y mettent beaucoup plus tard. J’estime avoir eu de la chance.

Quand j’ai commencé à vouloir proposer des projets et démarché des maisons d’édition, j’avais un scénario de roman graphique dans ma besace et une furieuse envie de pouvoir échanger avec des éditeurs. Je les imaginais, dans leur tour d’ivoire, entourés de livres, capables de porter un regard critique sur les textes qu’on leur soumettait. Je les imaginais comme des personnes qui pouvaient faire ressortir le meilleur de vous-mêmes, des personnes qui vous permettaient de devenir l’écrivain qui sommeillait en vous.

J’avais tort. Quand j’ai obtenu mon premier rendez-vous chez une directrice de collection d’une grande maison qui publiait de la bande dessinée, j’ai vite déchanté. Elle n’a quasiment pas commenté mon scénario. Elle m’a simplement dit que j’avais une excellente connaissance de la période historique que je traitais. Elle m’a ensuite demandé si j’imaginais le futur livre en roman graphique ou en bande dessinée de format plus classique, type cartonné-couleur.

J’ai dû la regarder d’un air interrogateur, ne comprenant pas pourquoi elle me posait la question, à moi, sachant que c’était elle, l’éditrice. Dans ma vision de l’époque, c’était elle qui devait opérer ce choix qui découlait du scénario lui-même. Pour moi, il était clair qu’il s’agissait d’un roman graphique, du fait de la taille du scénario et de l’histoire racontée, assez sombre (je n’imaginais pas des couleurs pour le traitement graphique).

Des échanges comme celui-ci, j’en ai eu d’autres, avec des éditeurs, des assistants d’édition. J’en ai également eu avec l’éditeur de la maison qui a signé ce premier scénario (Actes Sud, donc). La même chose s’est produite : aucune remarque sur mon scénario, sauf une. J’avais entrepris de réduire sa taille de manière drastique car j’estimais qu’il était trop long. Mon éditeur de l’époque m’a alors dit : « Veille à ne pas décharner ton texte ». Il est vrai que cette remarque était pertinente. Hormis cela, j’avais apparemment écrit le scénario parfait.

Ce n’était pas le cas, évidemment. Aujourd’hui, avec l’expertise que j’ai acquise au fil des ans, je sais comment je pourrais retravailler ce scénario qui reste, selon moi, plutôt bon, mais perfectible. Le livre a été publié et c’est ainsi. Il ne faut pas être trop perfectionniste. Les premières œuvres portent en elles certains défauts de jeunesse. Comment pourrait-il en être autrement ?

C’est lors de cette première expérience éditoriale que l’idée de devenir conseil éditorial a dû germer en moi. En réalité, j’étais très angoissée car je me disais : « Si dans une grande maison d’édition, on ne te fait aucun vrai retour sur ce que tu écris, comment vas-tu faire pour progresser ? »

Mon objectif était de devenir une autrice aguerrie et même si j’avais conscience du fait qu’une énorme part du travail me revenait, je savais aussi qu’un regard extérieur était nécessaire. Je le savais d’autant mieux que j’avais eu une première « vie artistique » en tant qu’apprentie pianiste et un premier métier de professeur de piano. Je savais à quel point les échanges avec un prof, un « regard extérieur », de manière générale, sont essentiels pour avancer.

Je commençais à comprendre que ce regard tant espéré se faisait attendre et que je ne le trouverais peut-être jamais.

Peu de temps avant la sortie de mon premier roman graphique, j’ai participé à un groupe de travail réunissant des gens qui souhaitaient se reconvertir professionnellement. J’y cherchais un soutien et des bonnes idées pour creuser mon sillon dans le monde de l’édition. Au cours d’une de nos séances, l’une des participantes m’a dit qu’elle me voyait comme une future script-docteure.

Je me souviens très bien de ce moment qui a fait « tilt » dans ma tête, même si je me disais que je n’en étais pas encore capable. Mais au fond, la graine était semée.

J’ai commencé à me former en autodidacte en lisant tous les livres de storytelling qui me passaient sous la main. À chaque fois, je me disais : « C’est génial, j’ai l’impression d’entrer dans les coulisses des histoires, de voir les mécanismes cachés de l’art du récit ».

Je ne comprenais pas pourquoi on trouvait rarement ce genre de livres en France. Je me disais que c’était lié à la façon dont nous étions éduqués, à notre vision de la littérature, à notre conception du  métier d’écrivain. Je repensais souvent à mes études pendant cette période. Je dois dire que j’étais assez en colère de découvrir que tout cela existait et qu’on ne m’en avait jamais parlé.

Aujourd’hui, ces livres restent rarement traduits. Ma chance, c’est que j’ai toujours adoré les langues étrangères et que mon niveau d’anglais est suffisamment élevé pour pouvoir lire tous ces livres sans difficulté.

A l’époque, si je lisais ces livres, c’était pour devenir une meilleure autrice car j’étais aux prises avec toutes les difficultés que rencontre un apprenti-écrivain. Je voulais absolument écrire une saga de science-fiction, traiter des dizaines de sujets qui me passionnaient, écrire des volumes entiers avec des intrigues complexes et bien ficelées. J’avais de nombreux blocages que tous ces livres me permettaient de lever, petit à petit. Cela m’a pris des années.

Pendant ce temps, je postulais dans l’édition, sans succès. Je ne savais pas alors que j’étais trop vieille pour être éditrice (quand on ne commence pas par des stages à vingt-trois ou vingt-quatre ans, c’est compliqué) et surtout, j’ignorais une chose essentielle : les éditeurs font très peu de conseil éditorial car ils sont accaparés par d’autres tâches. C’est un motif de plainte constant chez les auteurs primo-édités qui pensent qu’ils vont bénéficier d’un véritable coaching avant la parution de leur livre et même après.

J’essaye toujours d’avoir un point de vue équilibré, sachant que je suis autrice et éditrice freelance depuis quelques années. Si je suis convaincue qu’un auteur devrait savoir se prendre en main de A à Z et maîtriser l’art de la narration avant de proposer un texte à des maisons d’édition, je crois aussi que les éditeurs ont des progrès à faire en matière de conseil éditorial et d’accompagnement des auteurs. S’ils doivent, en premier lieu, vendre et promouvoir un livre, ils doivent aussi coacher un minimum les auteurs qu’ils éditent, savoir se rendre disponible et, selon moi, porter un véritable regard sur les textes qu’on leur soumet. Un regard qui ne se contente pas de dire « j’aime » / « j’aime pas ». Un regard qui sait identifier, analyser, jauger les différents aspects d’un texte.

Malheureusement, cette faculté reste relativement rare, et ce, pour deux raisons : ce n’est pas ce qu’on demande aux éditeurs de faire et ils ne sont pas formés pour cela.

Il est très intéressant de voir que l’un des principaux masters d’édition qui a pignon sur rue en France forme à tous les aspects du processus éditorial, sauf au conseil éditorial. Je le sais de source sûre puisque j’y étais. J’avais entamé un master de ce type (croyant que ce serait lui qui m’ouvrirait les portes de l’édition, en tant qu’éditrice en herbe. J’ai démissionné de ce master au bout d’une semaine.), j’ai vu les programmes, j’ai même pu échanger avec de nombreux diplômés de certains cursus Edition ou métiers du livre. On les forme à la « gestion de projet », pas à autre chose. Or, de quoi a le plus besoin un auteur ? D’un accompagnement sérieux, d’une véritable expertise littéraire.

Voilà pourquoi j’ai décidé de franchir le cap et suis devenue conseil éditorial. Après une dizaine d’années à lire des livres sur les techniques d’écriture, à constater qu’ils n’étaient toujours pas commercialisés en France, à voir que les formations à l’écriture étaient quasi-inexistantes (ce qui est en train de changer, tout doucement…), à voir que les éditeurs n’étaient pas toujours les mieux placés pour aider les auteurs, j’ai compris qu’il y avait un besoin et que j’étais très armée pour le satisfaire car j’étais autrice (contrairement à de nombreux scripts-doctors) et conseil éditorial en devenir.

Mon expérience d’éditrice freelance m’a aussi confortée dans cette idée puisque c’est là que j’ai pu, pour la première fois, accompagner des auteurs (je suis éditrice freelance depuis 2017).

Le métier de conseil éditorial est un métier passionnant parce qu’il me permet de rencontrer des personnes aux profils variés, de découvrir des textes que je n’aurais jamais pu découvrir autrement. J’en apprends autant sur moi que sur les autres, sur les difficultés propres à l’écriture (elles sont les mêmes pour tout le monde, je peux vous le garantir). Je voyage, j’apprends des choses, je découvre des univers et en plus, je peux parler de ce que j’aime avec mes clients : des textes, de la vie d’auteur et de la littérature, de manière générale.

C’est un métier qui n’est pas simple car il requiert de rester le plus objectif possible lorsqu’on commente un texte, d’accompagner des auteurs en devenir qui restent fragiles. On doit pouvoir dire les choses, faire avancer les gens, sans créer des blocages inutiles. On doit aussi déconstruire des préjugés bien ancrés.

Ecrire, c’est mettre de soi dans une forme littéraire, c’est véhiculer des points de vue, des valeurs. Cela touche au cœur de l’être et de ce qui nous transforme. J’adore ce métier parce que j’ai l’impression qu’il favorise les échanges « vrais ». On peut difficilement se cacher derrière un texte. Je ne pourrais pas travailler autrement, en réalité. J’ai besoin de ces échanges car ils me nourrissent aussi.

Ceux qui me connaissent déjà connaissent ma chaîne Youtube, « Johanna, conseil éditorial ». Si j’ai créé cette chaîne, ce n’est pas seulement pour donner une visibilité à mon travail, c’est aussi pour créer une communauté d’artistes et rompre la solitude de l’écrivain. À commencer par la mienne.

Une autre idée qu’il m’a fallu déconstruire. J’aime écrire, certes, mais pourquoi devrais-je le faire toute seule ? Moi aussi, j’ai besoin des autres. Moi aussi, j’ai envie de pouvoir échanger, même si ce n’est pas directement autour de mes textes.

Pour conclure cet article, je dirais enfin que les mots m’ont guérie. Je suis certaine qu’ils peuvent transformer nos vies pour le mieux. C’est ce que j’essaye de faire en me mettant aussi au service des autres. Parce que cela me fait me sentir utile, parce que cela a du sens pour moi, et parce qu’il n’y a rien de plus gratifiant de voir qu’on a participé à la naissance d’une nouvelle voix.

Merci à toutes les personnes qui me font aimer mon métier davantage chaque jour. Que tous vos rêves d’écriture puissent se réaliser !