Détourner les codes des genres de récits

Dans la suite de la vidéo portant sur la connaissance des codes des genres de récits, j’aborde cette fois-ci la question du détournement de ces mêmes codes. Connaître les temps forts / les jalons d’un genre est fondamental si on veut proposer une histoire qui tienne la route ; Détourner les codes d’un genre l’est encore plus si l’on souhaite se démarquer et se donner encore plus de chances d’être édité.

Don’t look up, déni cosmique est un film apocalyptique / catastrophe ou plutôt une satire de film catastrophe. Je vais me servir de cet exemple pour vous montrer comment on peut détourner les codes d’un genre, en l’occurrence, ici, ceux du film catastrophe.

Ce qui frappe assez rapidement, dans Don’t look up, ce sont les personnages mis en scène. Dans un film catastrophe, on a des types de personnages spécifiques, du fait des enjeux qui sous-tendent ces histoires : médecins, militaires, politiques, etc. Puisqu’il s’agit de lutter contre un problème d’envergure, souvent à l’échelle mondiale, il faut mobiliser les forces à même de lutter contre certains types de menaces. En cas de pandémie, ce sont les chercheurs, les experts, les épidémiologistes. En cas d’attaque nucléaire, ce sont plutôt les politiques, voire, des mercenaires, des agents secrets. Dans le cas d’une catastrophe naturelle, nous trouverons aussi des climatologues et dans le cas de Don’t look up, la menace étant incarnée par une comète, nous avons deux astronomes (eux seuls sont capables de capter les signaux venant du ciel, mais surtout, de les interpréter correctement). N’oublions pas, aussi, la présence indispensable d’une famille nucléaire, au minimum, pour mettre en scène les impacts de la catastrophe sur le « commun des mortels ».

Les types de personnages du film catastrophe : des héros/héroïnes prêt.e.s à se sacrifier pour la cause

Les codes du genre catastrophe, ce sont non seulement un type de personnages mis en scène (ceux précédemment cités), mais surtout des attitudes, des modes d’action singuliers. Des médecins luttent corps et âme contre une pandémie (Contagion), un père est prêt à tout pour sauver son fils d’un vortex polaire (Le jour d’après), des militaires veulent éradiquer une menace extra-terrestre (Extinction –film SF / Catastrophe). La menace est toujours prise au sérieux. Les personnages s’engagent dans des luttes à mort et sont souvent prêts à se sacrifier pour sauver leur famille et/ou le monde. Leurs actions sont guidées par un instinct de survie tout au long de l’histoire.

Dans Don’t look up : D’autres types de personnages, qui ignorent / minimisent la catastrophe

Don’t look up détourne tous ces codes. S’il met en scène des types de personnages fréquents dans le genre catastrophe, il insère aussi d’autres types de personnages : la chanteuse qui fait le buzz sur les réseaux sociaux, la foule inconsciente qui se contente de retweeter/commenter la menace (la foule est un quasi personnage en soi, ou plutôt un pôle d’opposition qui joue un rôle crucial dans l’intrigue), les chroniqueurs de talk-shows, le businessman avide de profit, pour ne citer qu’eux. Surtout, les personnages plus classiques sont détournés de par leurs attitudes / réactions face à la menace imminente. Le cas le plus flagrant est celui de la présidente des États-Unis (incarnée par Meryl Streep). Elle refuse de prendre la menace au sérieux, non pas parce que cette dernière l’inquiète, au fond, mais parce qu’elle n’en a foncièrement rien à faire, étant plus préoccupée par son image et par les élections à venir. Un personnage de présidente faussement stupide, à la vision étroite, bornée, personnage censé incarner l’une des réactions types face au problème du dérèglement climatique (je reviendrai sur cet aspect métaphorique du film).

Les motivations sidérantes / délirantes des personnages

Allons un peu plus loin dans l’analyse des personnages précités. Je l’ai dit, dans un film catastrophe, la principale motivation d’un personnage est la survie. Dans Don’t look up, cette motivation est bien présente, notamment chez les personnages censés du film (les deux astronomes, en premier lieu), mais elle détournée à plusieurs reprises via d’autres personnages. J’ai parlé de la présidente qui veut parfaire son image en vue des élections. Il y aussi le business man qui veut détruire la comète d’une certaine manière afin de pouvoir prélever les métaux précieux qu’elle contient : l’appât du gain est donc sa principale motivation, même si la première motivation, celle de survivre, est liée. On le voit, si la survie reste le principal moteur des actions des personnages, ce n’est pas cette motivation-là qui est mise en avant et ce, dans le but de montrer l’inconscience de ces derniers face à la menace de destruction massive.

Des modes d’action détournés

Quand un personnage veut sauver le monde, il le fait avec des moyens « logiques », relativement « courants ». Un médecin va chercher un vaccin, une armée va vouloir combattre un ennemi, une population va vouloir se mettre à l’abri face à l’imminence d’un tsunami, par exemple. Dans Don’t look up, les modes d’action des personnages sont quasi-inédits et reflètent notre « modernité ». Pour convaincre la population du sérieux de la menace, nos deux astronomes vont devoir participer à un talk-show (du jamais vu, me semble-t-il. Si vous avez des contre-exemples, n’hésitez pas à l’indiquer dans le commentaire de la vidéo liée sur Youtube). Puis, grâce au relai d’une chanteuse à succès, ce sont les réseaux sociaux qui vont avoir le plus d’impact sur la population et conduire ce quasi-personnage à réagir (par la peur, la fuite, l’acceptation). Ce qui produit le plus d’effet sur le déroulement l’intrigue, ce sont des modes d’action inhabituels. Et c’est aussi cela, détourner un genre : proposer d’autres façons de faire évoluer l’intrigue.

Un dernier exemple : la prise de décision sur un coup de tête. Au midpoint, les États-Unis ont réussi à programmer un lancement de missiles pour détruire la comète et ce, grâce à une coopération des forces internationales. Au moment du lancement, le businessman interpelle la Présidente pour une entrevue que nous ne verrons pas. Lorsque la Présidente revient, le lancement a été modifié et entraîne l’échec de l’attaque. On apprendra plus tard que cet homme a réussi, en quelques secondes, à interrompre une opération de sauvetage mondial.

Un film catastrophe satirique

Don’t look up nous propose bien une satire du film catastrophe et, en ce sens, il s’agit bien d’un détournement du genre lui-même. L’insertion de moments « comiques » (qui, en réalité, suscitent un profond désarroi), vise à nous proposer une vision satirique de l’humanité. Face à l’urgence et au caractère massif de la menace, les êtres humains sont incapables de faire face. Dans un film catastrophe classique, tout est pris au sérieux. Dans une satire de film catastrophe, rien n’est pris au sérieux et c’est là la force du film qui se transforme en métaphore des problèmes soulevés par le changement climatique : la menace a beau être gigantesque, l’inertie prévaut et nous conduit à la catastrophe. Avec Don’t look up, on a donc un film qui, tout en détournant les codes du film catastrophe, nous met face à une catastrophe de grande ampleur que nous refusons obstinément de voir (d’où, l’idée de déni contenue dans le titre). C’est, à mon sens, l’une des plus grandes réussites de ce film.

« We had it all, didn’t we ? », murmure le personnage de Léonardo di Caprio en tenant la main de sa femme et de son fils. Une avant-dernière scène qui, pour ma part, restera gravée dans ma mémoire.


Vidéo liée à l’article :