Vraisemblance et fiction

 

La vraisemblance est une notion essentielle du storytelling. Aristote en parlait déjà dans sa Poétique. Voici ce qu’il en dit dans le chapitre 15 : « Il faut aussi dans les caractères, comme dans l’agencement systématique des faits, chercher toujours le nécessaire ou le vraisemblable : qu’il soit nécessaire ou vraisemblable que tel homme dise ou fasse telle chose, nécessaire ou vraisemblable que ceci se produise après cela ». Puis, plus loin, « il ne doit y avoir rien d’irrationnel dans les faits ».

C’est là que la notion de vraisemblance se distingue de celle de vérité. Lorsqu’on raconte une histoire, tout peut être imaginé, inventé… mais il faudra rester cohérent, logique, si vous souhaitez susciter l’adhésion de vos lecteurs et les pousser à lire jusqu’à la fin votre roman ou votre scénario.

La notion de vraisemblance ne sera pas perçue de la même façon selon le genre de romans que vous écrirez. Dans un roman qui parle de zombies, il sera vraisemblable de voir des êtres humains revenir à la vie et marcher à  deux km/heure avec des visages potentiellement décomposés. Pour autant, rien n’est vrai, mais on s’en fiche. Dans l’univers de votre récit de zombies, tout se tient parce que c’est le genre dans lequel vous avez choisi d’écrire, genre qui comporte ses codes qui produiront tous leurs effets si vous les respectez. Il en ira tout autrement dans un récit qui se veut ultra-réaliste, comme vous pouvez l’imaginer.

Ce qui est en jeu, à travers cette notion de vraisemblance, c’est la crédibilité de votre roman et je dirais même, votre crédibilité en tant qu’auteur. A partir du moment où vos personnages prennent des décisions illogiques en regard de l’univers que vous aurez créé, vous risquez de perdre vos lecteurs et ce, de manière définitive. Qui aura envie d’acheter les livres d’un auteur qui ne paraît pas crédible et dont on aura l’impression qu’il n’aura pas respecté l’intelligence de ses lecteurs ?

Je viens de lire un livre d’un auteur Français qui se vend à des centaines de milliers d’exemplaires à chacune de ses parutions. J’avais tenté il y a des années de le lire et son livre m’était tombé des mains… on m’a offert son dernier roman très récemment et je me suis dit : « lisons-le, ne mourrons pas bête ! ».

Si le livre a un style impeccable et propose une histoire très bien racontée (bien que sans intérêt, à mes yeux), j’ai vraiment buté sur la question de la vraisemblance.

Dès le début, le romancier peint un personnage d’auteur débutant qui se trouve être fasciné par un écrivain vivant sur île, reclus, et n’ayant rien publié depuis 20 ans. L’auteur débutant va sur cette île pour le rencontrer et lui faire lire son manuscrit. Il se rend chez l’écrivain qui vit presque dans un bunker, en escaladant des rochers abrupts, face à la mer. L’écrivain qui vit là aperçoit l’intrus et se met à lui tirer dessus avec un fusil à pompe et ce, à plusieurs reprises. Pour autant, l’auteur débutant ne lâche pas l’affaire jusqu’à ce qu’il parvienne à escalader les rochers qui le séparent de la terrasse de la maison et à parler à l’écrivain qu’il adule… Désolée, mais je n’irai pas risquer ma vie pour présenter mon manuscrit à quelqu’un.

Ceci est un exemple parmi d’autres. Malgré cela, ces livres marchent, ce qui semble invalider cet article 🙂

Je n’en reste pas moins convaincue que les meilleurs textes sont ceux qui sont vraisemblables du début jusqu’à la fin !