Il n’y a pas une seule « bonne façon » de retravailler son manuscrit. Tout dépend des habitudes de chaque écrivain et du manuscrit que l’on souhaite réviser.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que vous écrirez forcément plusieurs versions d’un même manuscrit. Je ne connais aucun.e auteur.e qui soit capable d’écrire un texte parfait et publiable en une seule version. Les plus grands écrivains ont toujours révisé, raturé leurs manuscrits. La BNF avait d’ailleurs créé une magnifique exposition sur les manuscrits des plus grands auteurs Français. Ce fut très instructif de s’y rendre car l’on pouvait voir à quel point leurs textes étaient remaniés et raturés.
Je vais vous donner quelques conseils pour être méthodique et éviter de perdre du temps lorsque vous déciderez de retravailler le premier jet de votre manuscrit.
- Lisez votre manuscrit d’une traite pour avoir une vision d’ensemble
Prenez des notes si vous le souhaitez pendant cette relecture, mais surtout, ne vous arrêtez pas en plein milieu en vous disant : « c’est bon, je vois ce qui ne va pas, je vais le réécrire tout de suite et je lirai la suite après. » Ne pas lire son texte jusqu’au bout, c’est prendre le risque de se tromper dans son diagnostic. Vous êtes au milieu de votre manuscrit et vous pensez que toute la partie centrale doit être revue, par exemple, alors qu’une fois arrivé au bout, vous comprenez que certains éléments de cette partie que vous souhaitiez peut-être supprimer sont nécessaires au déroulement de votre intrigue.
- Prenez le temps d’écrire votre diagnostic
Ecrivez sur une feuille tous les points que vous pensez devoir retravailler. Il y aura sans doute des choses à retravailler au niveau du fond et de la forme. Gardez cette feuille précieusement car vous devrez y revenir plus tard.
- Commencez par les modifications structurelles
Il ne sert à rien, en effet, de se mettre à peaufiner le style de tout un passage si, finalement, vous ne le conservez pas. Cette façon de faire est la plus grande source de temps perdu. Vous devez être certain de la structure de votre histoire avant de modifier d’autres aspects de votre texte car la structure, c’est le squelette. S’il ne tient pas debout, un beau style ne vous servira à rien.
- Construisez le « chemin de fer » de votre manuscrit
Je vais employer un vocabulaire cinématographique mais il s’appliquera autant au scénario qu’au roman. Je vous conseille de faire une liste précise des scènes de votre histoire, dans leur ordre de déroulement et ce, de la façon suivante : vous résumez chaque scène en une seule phrase. Cet exercice, qui n’est pas simple, vous permettra déjà de voir si chaque scène remplit un objectif précis dans votre récit.
Ensuite, vous pourrez voir clairement si vos scènes s’enchaînent selon un lien de cause à effet. Chaque scène doit en effet générer la scène suivante. C’est comme ça que sont construites les bonnes histoires.
C’est là que je dois vous confier ma passion pour les post-it. Quand vous aurez écrit votre liste de scènes, écrivez la phrase qui résume le contenu de chaque scène sur un post-it et construisez le chemin de fer de votre histoire en collant les post-it sur un mur (ou sur une table, ou sur le sol, bref…). Vous verrez votre histoire devant vous et cela vous permettra de voir s’il y a des scènes en trop ou des scènes manquantes, si certaines ne remplissent pas des objectifs clairs…etc. Vous pourrez déplacer vos post-it dans tous les sens et vérifier ce lien de cause à effet que j’ai mentionné plus haut. Vous pourrez modifier l’ordre de vos scènes, si besoin. Mais surtout, vous pourrez vérifier votre structure d’un seul regard. C’est un grand gain de temps pour la suite.
- N’hésitez pas à trancher dans le vif mais archivez vos passages tronqués
Il faut parfois supprimer des pages entières ou des chapitres entiers (autrement dit, des scènes et des séquences entières). Pourquoi ? Parce que maintenant que vous avez une vision d’ensemble de votre premier jet, vous avez peut-être réalisé que certains passages n’apportaient rien à votre histoire.
Posez-vous ces questions à chaque fois que vous vous penchez sur une scène ou une séquence : ce passage est-il indispensable au bon déroulement de mon histoire ? Permet-il de développer mes personnages, de leur donner plus de profondeur ? Ces descriptions sont-elles nécessaires pour planter le décor ou sont-elles redondantes ? Ai-je, dans cette scène, écrit tout ce qu’il fallait pour que les lecteurs comprennent la réaction de mon personnage principal ? (Ce sont des exemples).
Je pourrai continuer pendant longtemps. Les questions que l’on doit se poser dépendent de ce qu’on a écrit, mais l’idée-phare reste la suivante : supprimer tout ce qui n’est pas nécessaire.
Attention à ne pas jeter définitivement ces passages. Archivez-les dans un dossier dédié. On ne sait jamais, vous pourriez vous être trompé. Vous les relirez quand vous estimerez que votre manuscrit est définitivement abouti et prendrez alors votre décision.
- Demandez-vous comment vous pourriez enrichir votre texte
Tout le monde fait cette erreur de ne pas « aller jusqu’au bout de son texte ». Si vous avez écrit une histoire, c’est que vous avez créé une intrigue, des personnages, un univers. Vous avez fait l’essentiel du travail mais vous n’êtes pas forcément allé jusqu’au bout. N’y-a-t-il pas un moyen de donner plus d’épaisseur à vos personnages ? de montrer d’autres lieux dans votre univers ? de créer une intrigue secondaire, par exemple ? Il ne faut pas hésiter à enrichir votre texte en déployant toutes les possibilités offertes par le thème/sujet que vous avez choisi de traiter en racontant votre histoire.
- Affinez le style quand vous avez fait tout cela et pas avant
Si votre histoire est solide, si toutes les scènes s’enchaînent parfaitement, s’il n’y a plus rien à ajouter ou à retirer, vous avez le droit de corriger le style ! Corrigez bien tout ce qui relève de la maîtrise de la langue car les éditeurs n’auront aucune pitié pour les fautes de grammaire, de syntaxe ou de conjugaison. Les coquilles sont toujours présentes dans un texte mais des erreurs récurrentes passent pour de l’amateurisme. Les maisons d’édition sont exigeantes et à juste titre : on doit maîtriser la langue française si l’on veut être publié. Il n’y a pas de honte à se replonger dans des livres de grammaire. Pour ma part, je vérifie souvent des conjugaisons ou des participes passés que j’ai oubliés. Le tout est de faire son travail d’écrivain jusqu’au bout. Le style, je le dis souvent, c’est la première chose que verra un.e éditeur / éditrice. Il doit donc être parfaitement ciselé.
- Pour réaliser toutes ces corrections, donnez-vous un ou deux objectifs clairs pour chaque version de texte produite
Par exemple, pour votre V2 : j’ajoute toutes les scènes manquantes et je retire les scènes en trop.
Pour votre V3 : je prends le temps de mieux développer tous mes personnages.
Pour votre V4 : je retravaille toutes mes descriptions. J’enrichis mon univers.
Et ainsi de suite. Ce ne sont que des exemples. L’idée étant de ne pas vouloir tout corriger dans la V2 car ce n’est pas possible. Vous irez trop vite et il faudra revoir votre copie.
- Vérifiez que vous avez bien corrigé tous les points listés sur votre feuille de diagnostic
On peut facilement oublier de corriger certains aspects de son histoire. La feuille que vous avez établie lors de votre première relecture vous sert maintenant à vérifier que vous avez bien retravaillé tous les points qui posaient problème.
- Attendez plusieurs semaines avant de relire votre manuscrit
Le temps fait toujours son œuvre, surtout dans un processus d’écriture. Je laisse passer un mois minimum avant de relire une version d’un texte. Vous trouvez ça long ? Je vous conseille de travailler sur un autre projet entre-temps (ou de prendre des vacances cérébrales), si vous ne voulez pas avoir le sentiment de perdre du temps. Vous allez alors réaliser que votre manuscrit est abouti ou qu’il mérite encore d’être travaillé. Soyez patient, listez vos nouveaux objectifs, remettez vous à l’ouvrage jusqu’à ce que vous soyez certain que votre manuscrit ne peut plus être amélioré.
© Johanna Sebrien, 2020