La question de savoir si l’on doit réfléchir à la structure de son histoire avant même de l’avoir écrite vient heurter l’idée que l’on se fait du travail de l’écrivain. Beaucoup de gens ne croient-ils pas encore au mythe de l’inspiration, comme si les mots pouvaient jaillir tous seuls sous la plume de l’écrivain sans qu’il ait à concevoir les parties de son œuvre à la manière d’un architecte ?
Toutes les personnes qui écrivent le savent : l’écriture relève presque plus de l’artisanat que de l’art. Chaque jour, il faut se remettre à l’ouvrage, corriger, raturer, inventer, supprimer, lire et relire encore ses textes…
Néanmoins, il y a, à mon sens, un peu de vrai dans cette idée qu’un livre puisse un peu s’écrire de lui-même, au sens où le jour où l’écrivain est prêt à l’accueillir, les mots viennent facilement, les personnages s’animent d’eux-mêmes, les lieux se redécouvrent au fil de l’écriture. N’est-ce pas alors l’aboutissement d’un processus sous-terrain qui devient simplement conscient ?
Si l’on part de cette idée, l’écriture d’un roman se ferait d’abord dans le silence du corps et de l’esprit avant que le livre n’advienne. C’est d’ailleurs l’un des sens de la magnifique préface des Contemplations de Victor Hugo. Je ne résiste pas à l’envie de vous faire lire ou relire le début de cette dernière :
« Vingt-cinq années sont dans ces deux volumes. Grande mortalis ævi spatium. L’auteur a laissé, pour ainsi dire, ce livre se faire en lui. La vie, en filtrant goutte à goutte à travers les événements et les souffrances, l’a déposé dans son cœur. Ceux qui s’y pencheront retrouveront leur propre image dans cette eau profonde et triste, qui s’est lentement amassée là, au fond d’une âme. »
Qu’en est-il de votre roman ou de votre scénario ? Etes-vous inspiré.e au point que votre texte « s’écrit tout seul » ? Si c’est le cas, continuez, évidemment. Il y a des moments où l’écriture est plus facile et il est bon d’en profiter.
Ce qu’il est important de comprendre, c’est que ce premier jet restera un premier jet. Autrement dit, vous aurez un travail de réécriture à opérer. Peut-être vous faudra-t-il revoir la structure, ajouter ou enlever des intrigues secondaires, affiner des personnages, revoir le style…
Ce qui est formidable lorsqu’on arrive à accoucher d’un premier jet sans trop y réfléchir, c’est qu’on dispose d’un matériau qui nous permettra de peaufiner son texte sans avoir à se poser des questions angoissantes, du style : vais-je parvenir à le terminer ? Est-ce que mon roman ou mon scénario tiennent la route ?
J’assimile ce processus au travail d’un sculpteur qui aurait façonné la forme générale d’une statue, par exemple, et qui s’attèlerait à en préciser tous les « détails ». Comme l’écrivain, le sculpteur va affiner certaines parties, ajouter plus de matière à tel ou tel endroit.
Il est donc normal d’écrire plusieurs versions d’un même texte. A chaque version vous modifierez des aspects de votre narration jusqu’au moment où vous estimerez que votre roman ou votre scénario sont aboutis. Cela peut requérir l’écriture de quatre, cinq, dix ou vingt versions. Et ce n’est pas grave, tant que vous y prenez du plaisir.
Si l’on me demandait quel est le matériel minimal que l’on devrait posséder pour se lancer dans l’écriture d’un roman ou d’un scénario, je dirais qu’il faut choisir son personnage principal, son premier décor et l’objectif que ce personnage va poursuivre tout au long de l’histoire. Si ensuite vous avez imaginé les principaux jalons de votre histoire, autrement dit, les tournants de cette dernière, c’est encore mieux.
Ne vous bridez pas et lancez-vous si vous avez une idée en tête. Mais sachez que vous devrez probablement restructurer a minima votre premier jet et peaufiner votre histoire dans ses moindres détails en écrivant différentes versions de votre roman ou de votre scénario.
© Johanna Sebrien, 2020