Les personnes qui me contactent me posent régulièrement la question de leur légitimité. Ils se demandent s’ils ont raison de prendre la plume, s’ils peuvent prétendre écrire, vouloir être publié, etc.
Derrière cette question parfaitement légitime (sans jeu de mots), se cache souvent un besoin de réassurance. Au fond, que veut savoir un apprenti-écrivain ? S’il a du talent, s’il a des chances d’être publié, si sa voix sera un jour entendue, reconnue.
Je peux d’hors et déjà vous dire que tout le monde se pose ces questions. Elles sont normales, font partie du processus d’écriture et de la construction d’une carrière (qu’elle soit artistique ou pas, d’ailleurs). Je recommande souvent de lire des biographies d’artistes ou d’écouter leurs interviews car vous comprendrez que les plus grands créateurs se posent, eux aussi, ces questions.
Comment se rassurer et trouver la motivation pour écrire quand le « résultat » paraît si incertain, dans un monde où il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus ?
Dans un premier temps, j’aurais tendance à vous dire d’essayer de mettre ces questions de côté et de vous concentrer sur votre travail d’écriture. Ces questions reviennent souvent, qu’on publie ou pas des livres, et elles ont l’art de nous polluer.
Selon moi, la seule véritable question à se poser est celle du caractère vital de l’écriture pour vous. Pour reprendre les réflexions de Rainer Maria Rilke dans les Lettres à un jeune poète, est-ce que l’écriture est une nécessité ? Si vous n’écriviez pas, seriez-vous malheureux, moins épanoui, moins en paix avec vous-même ?
Si l’écriture est un besoin, alors il n’y a plus de question à se poser : il faut écrire. Quoi qu’on vous dise, quel que soit le jugement qu’on pourra porter sur vos écrits. Si lorsque vous vous levez le matin, vous n’avez qu’une envie, que cette envie vous trotte dans la tête pendant une bonne partie de la journée et qu’au moment de vous mettre à écrire, vous ressentez à quel point cela vous fait du bien, allez-y ! Et surtout, ne laissez personne vous dire que vous devriez laisser tomber.
Lorsque qu’un auteur propose un projet à des maisons d’édition et que ce projet est refusé, son premier réflexe, souvent, sera de vouloir renoncer à l’écriture. Il se dit : « si quelqu’un du métier m’a dit ceci ou cela, m’a fait comprendre que je n’ai aucun talent, que mon texte est mauvais, cela veut dire que je m’obstine pour rien. Je ne serai jamais édité, je perds mon temps, mon énergie. J’arrête tout. »
Cette réaction, qui se comprend, se fonde en réalité sur deux croyances. La première, c’est de croire qu’un éditeur est un juge infaillible. La deuxième, c’est de croire qu’un texte n’est pas perfectible.
Le milieu de l’édition est comme tous les milieux professionnels. Il y a, en son sein, des gens extrêmement compétents et d’autres, qui le sont moins… pourquoi accorder tant de crédit à une personne dont le jugement s’appuie sur une subjectivité qui, par définition, reste subjective ?
Par ailleurs, si votre texte est refusé, c’est peut-être parce qu’il n’est pas abouti. L’écriture est un travail. Il faut parfois dix ou vingt versions d’un même texte pour le terminer. J’en parle dans une vidéo que je vous invite à regarder (Mon manuscrit est-il abouti?).
Vous me direz peut-être que si vingt éditeurs refusent votre texte, cela veut dire quelque chose. Oui, c’est certain, mais pas forcément la chose que vous croyez. Encore une fois, vous avez peut-être envoyé une version non aboutie de votre texte ou proposé un sujet qui n’intéresse absolument personne. Beaucoup d’écrivains ont été refusés par des dizaines de maisons. Leurs textes étaient-ils mauvais ? Pas forcément.
Si c’est la question de la publication qui vous taraude, si pour vous, elle est l’extrême onction qui confortera votre légitimité d’écrivain, j’ai envie de vous dire que vous vous mettez beaucoup de pression pour pas grand-chose. Oui, je le répète : beaucoup de pression pour pas grand-chose. Pourquoi ? Parce que la publication ne valide rien à mes yeux. Laissez-moi vous expliquer…
Vous êtes sans doute tombé, vous aussi, sur de très mauvais livres. Ces livres étaient mauvais et pourtant, ils ont été publiés. Pensez-vous réellement que le processus de publication leur a donné un surcroît de valeur ? Je ne le crois pas. La publication nous fait croire que des livres mauvais valent le coup d’être lu alors que ce n’est pas le cas. Ce sont des écrans de fumée, des mensonges éditoriaux. A mes yeux, cela n’a aucune valeur.
Ensuite, si vous vous dites : « Très bien, je comprends que le fait de publier un mauvais livre ne résout pas la question de la légitimité, mais si je publie un bon livre, dans une bonne maison d’édition, alors là, je me sentirai légitime ».
Et là, je vous réponds : oui ou non. Il y a des gens qui ont publié dans des très belles maisons et qui ne se sentent pas forcément légitimes. Mieux encore, il y a des gens qui vendent des millions d’exemplaires et qui ne se sentent pas légitimes.
J’ai vu cet excellent documentaire sur Stephen King (sur Arte), documentaire qui montre que l’écrivain s’est posé cette question alors qu’il vendait déjà des millions d’exemplaires. Pourquoi ? Parce qu’il a toujours publié des romans d’horreur et que ce genre n’était pas forcément reconnu par l’intelligentsia américaine. Parce qu’il y a toujours eu cette opposition artificielle entre un roman populaire et un roman de qualité, comme si la popularité était forcément synonyme de piètre qualité littéraire. Dans ce documentaire, un lien est fait entre cette préoccupation existentielle de King et le roman misery qui met en scène un personnage d’écrivain taraudé par cette idée que ses romans à l’eau de rose, qui se vendent extrêmement bien, ne le rendent pas pour autant légitime en tant qu’écrivain. Cette question thématique est centrale dans misery et se résout de la manière suivante : oui, on peut écrire des romans populaires qui sont aussi des romans de qualité. Les deux ne s’opposent pas.
Pour avoir beaucoup discuté avec des auteurs BD publiés, je sais à quel point ils ont tendance à se poser cette question, notamment parce que la BD a été élevée au rang d’art sur le tard.
Tout cela pour vous dire que quel que soit le stade auquel vous vous trouvez, cette question de votre légitimité à écrire reviendra sans doute. C’est une question à laquelle vous devrez répondre dans la solitude de votre processus d’écriture, dans le rapport intime que vous nouez à votre être. Il n’y a que vous qui pourrez savoir si l’écriture est une nécessité dans votre vie. Le reste n’a presque pas d’importance. Je le pense vraiment car je crois à la puissance du travail et à la persévérance. Je crois aussi au bien-être que procure l’écriture en elle-même et à la façon dont elle transforme nos vies même si on n’est pas publié.
Vous désirez réellement écrire et être publié ? Cela arrivera. Mais pour cela, il va falloir vous atteler au travail et évacuer, dans la mesure du possible, les questions qui vous tireront en arrière, plutôt que de vous pousser à écrire.
© Johanna Sebrien 2021.