Dans l’épisode 2, nous avons réfléchi à la façon dont nous pouvions élaborer une prémisse. Vous avez vu à quel point il était important de se poser les bonnes questions dès le début, de prendre le temps d’élaborer sa prémisse pour éviter de se lancer dans l’écriture d’une histoire bancale. Je tiens cependant à vous rassurer : si vous vous trompez au stade de la prémisse, ce dont vous vous apercevrez peut-être au cours de l’écriture, vous pourrez revenir dessus et la retravailler. Cela vous demandera de reprendre votre histoire à zéro, mais en réalité, vous aurez considérablement avancé car vous aurez renoncé à certaines pistes et a priori, votre idée d’histoire se sera précisée grâce aux pages que vous aurez écrites.
Je ne vais pas nier le fait que ce processus peut-être décourageant car on a la sensation d’avoir perdu du temps et de l’énergie. Mais c’est aussi de cette façon qu’on apprend à écrire, en passant par des détours. Quand on écrit, il faut tester, recommencer, écrire encore pour commencer à sentir que l’histoire prend forme sous ses doigts et dans son esprit.
Si je reprends ma prémisse développée dans l’épisode précédent, j’ai ceci : « Eléna entreprend de se doper pour gagner une compétition de natation au niveau national. » J’ai d’hors et déjà envie de reformuler la deuxième partie de ma prémisse, autrement dit, de la préciser. Pourquoi ? Parce que je souhaite passer à l’étape suivante et commencer à imaginer la trajectoire de mon personnage principal.
Je vais remplacer « gagner une compétition de natation au niveau national » par « intégrer l’équipe nationale de natation ». J’obtiens donc cette prémisse : « Eléna entreprend de se doper pour intégrer l’équipe nationale de natation ». En reformulant la prémisse, j’ai précisé l’objectif d’Eléna (intégrer l’équipe nationale) et c’était ce que je souhaitais. Je trouve la formulation plus claire, ce qui va me permettre de mieux délimiter les contours de mon histoire, autrement dit, la trajectoire d’Eléna.
On le voit, la prémisse peut-être retravaillée en permanence. Mais à un moment, il faudra la fixer une bonne fois pour toutes. Au stade où j’en suis, mon histoire reste une idée, plus précise qu’avant, mais une idée quand même. Je suis incapable de dire quels seront les tournants de mon histoire car je n’y ai pas encore réfléchi. Je sais simplement que je veux raconter l’histoire d’une nageuse qui a de l’ambition et qui va se donner les moyens d’atteindre son objectif.
Si cet objectif est bien d’intégrer l’équipe nationale de natation, je sais qu’il faudra encore que je précise de nombreux éléments lorsque j’écrirai mon histoire (quelle équipe nationale ? dans quel pays ? etc). Mais je n’en suis pas là. J’en suis à me dire que mon histoire prendra fin lorsque mon héroïne aura atteint ou pas son objectif. Ma prémisse me sert aussi à cela : à savoir à quel moment mon histoire se terminera.
J’imagine donc un événement qui sera un passage obligé pour l’héroïne si elle souhaite intégrer cette équipe nationale. Comme il s’agit d’une histoire sportive, l’idée d’une compétition s’impose rapidement à moi. Notez que je ne crée rien de très original. Ce sera la façon dont je raconterai cette histoire qui me permettra d’imprimer ma marque en tant qu’autrice, pas le fait d’avoir choisi de raconter comment une nageuse va se préparer à une compétition décisive pour son avenir.
J’ai donc ma fin : la nageuse va participer à cette compétition et son chrono sera suffisant ou pas pour intégrer l’équipe nationale. Je ne suis pas obligée de déterminer tout de suite le « résultat ». Peut-être que l’écriture du premier jet me permettra de sentir si je préfère qu’elle réussisse ou qu’elle échoue. En tout cas, d’un point de vue narratif, je sais que l’histoire se terminera peu de temps après la publication des résultats de cette compétition.
Il très important de commencer à concevoir la fin de mon histoire car cette dernière va me permettre d’imaginer la trajectoire globale de mon personnage principal. Dans mon histoire, Eléna va forcément devoir se préparer à cette compétition. Les principales actions de mon histoire seront liées à cette préparation (puisque j’ai décidé d’écrire une histoire sur une sportive, je dois aussi en passer par là, à moins de traiter un sujet différent).
A quel moment va commencer mon histoire ? Puisque l’objectif/la quête de mon personnage principal est clair, je vais commencer mon histoire avant le début de cette quête. Là encore, il est important de montrer comment naît un objectif, sachant qu’il vaut mieux montrer les causes « immédiates » plutôt que les causes « lointaines » si l’on veut un départ relativement rapide.
Vous pouvez décider de raconter l’enfance d’un personnage et montrer comment sa quête a pris sa source dans des événements vécus à cette époque. Mais en faisant cela, vous prenez le risque d’écrire une autre histoire ou de lasser le lecteur/ l’éditeur. Ce sujet pourrait être débattu, mais ce que j’ai pu constater, c’est que les départs sont relativement rapides dans la plupart des romans qui sont publiés aujourd’hui. Posez-vous cette question : dois-je forcément remonter aussi loin pour raconter mon histoire ?
Si je reprends l’exemple d’Eléna, sa quête pourrait démarrer de plusieurs façons : son entraîneur lui annoncerait qu’elle a désormais le niveau pour participer à la compétition décisive, Eléna entendrait parler de cette compétition après une séance de sport, etc…
Pour déterminer la façon dont elle l’apprendrait, il paraît clair qu’il me faudra me renseigner sur la façon dont sont sélectionnées des nageuses prometteuses en France. Une fois que j’aurais fait ce petit travail de recherche, je peux choisir l’événement (autrement dit, l’incident déclencheur) qui va lancer mon héroïne dans sa quête.
Vous le voyez : j’ai mon début et ma fin, ce qui constitue déjà une esquisse de trajectoire. Si ces jalons essentiels me paraissent solides après quelques jours de réflexion, je peux continuer de bâtir la trajectoire de mon personnage principal. Ce sera l’objet du prochain épisode !
© Johanna Sebrien, 2021