Comment se transforme-t-on ? Avant de concevoir la transformation d’un personnage, il paraît important de comprendre comment un être humain change, se transforme. Même si certains considèrent qu’on « ne change pas », en tant qu’auteur.ice, il va bien falloir changer votre fusil d’épaule car ce que les lecteurs attendent, c’est de pouvoir assister à la transformation d’un personnage, entre autres.

Pour ce faire, il paraît important de commencer par définir la nature de la transformation. La première technique narrative consiste à qualifier le plus précisément possible cette transformation. Sera-t-elle d’ordre professionnel, physique, sentimental, familial ? S’agit-il surtout d’un changement de situation ou d’une transformation plus psychologique ou les deux ? Je peux vouloir montrer comment un personnage change de vie, par exemple, ou de compagne, ou d’état psychologique. Comme toujours, c’est l’auteur qui décide en fonction des sujets et des conflits qu’il souhaite mettre en scène. Car, on y revient, une transformation ne se fait pas sans conflit, qu’il soit externe ou interne.

Une fois que j’ai choisi la nature de la transformation, ma deuxième technique narrative consiste à définir précisément la situation initiale de mon personnage, puis la situation finale (même si elle pourra être un peu modifiée, il est important de savoir où l’on va dès le début). Notez que, ce faisant, j’élabore la trajectoire de mon personnage, autrement dit, la structure de mon histoire. Imaginons que je souhaite écrire une comédie romantique (oui, j’adore les comédies romantiques, parce que j’aime rire et j’aime l’amour, sans doute les deux choses les plus importantes à mes yeux dans une existence). Je vais choisir une transformation de nature psychologique qui se matérialisera aussi par un changement de vie.

Bob est un homme de trente ans blasé et limite misanthrope / misogyne. Il tombe systématiquement sur des femmes qui finissent par le quitter (et toujours pour la même raison : Bob ne veut pas s’engager. Il est très indépendant. Il ne sait pas montrer ses sentiments. Il est fuyant.) Bob est arrivé à un âge où, voyant ses amis se « caser », il rêve de faire la même chose. Et puis, il en a marre de regarder Koh Lanta tout seul, avec son paquet de chips et son appli tinder qui lui envoie des notifications dont il n’a que faire. Disons-le clairement : Bob ne croit plus en l’amour dans ce monde consumériste où les êtres humains sont jetables, comme des mouchoirs. Voilà l’état initial de Bob. Quant à l’état final, je souhaite que Bob croie à nouveau en l’amour, l’ait trouvé, soit heureux. Bref, qu’un petit miracle se soit produit, ce qui va entraîner un déménagement à l’étranger (à Londres, par exemple).

Comment cette transformation va-t-elle s’opérer ? C’est la rencontre amoureuse qui va tout changer, comme dans toutes les histoires d’amour. Mais comme Bob est un coriace, je choisis de placer, face à lui, un personnage féminin qui lui ressemble étrangement, qui crée un effet miroir chez Bob. Cet effet-miroir va permettre à Bob de comprendre son mode de fonctionnement et de reconnaître ses sentiments. Et ce, de manière progressive.

Je dois donc mettre en œuvre une troisième technique qui consiste à déterminer les grandes étapes de la transformation de mon personnage. Ces grandes étapes sont induites par des jalons qui correspondent aux jalons de toute structure narrative (ceux de la structure en 3 actes, par exemple). Mais cela ne suffit pas. Un jalon peut induire des actions, être comme un élément déclencheur en soi, sauf que 3 ou 4 jalons ne représentent qu’un squelette de transformation (ceci étant dit, beaucoup s’en contentent…). Il va falloir mettre en œuvre une quatrième technique qui consiste, cette fois-ci, à déterminer tous les micro-changements qui se situent entre ces jalons. De cette façon, la transformation du personnage sera progressive, donc plus naturelle et plus crédible.

Si j’imagine, par exemple, qu’au milieu de l’histoire (au midpoint, pour reprendre un langage structurel), après une première partie qui aura montré la rencontre et le développement d’une relation entre Bob et Lucinda (aucun autre prénom ne m’est venu pour matcher avec Bob), une séparation intervient. Ici, je détermine un jalon, donc une future grande étape de changement. En effet, Lucinda travaille à La City (à Londres, si vous avez suivi) et elle doit malheureusement écourter ses vacances à Paris. Bob est, lui aussi, très pris par son travail car il est le directeur commercial d’une entreprise qui vend des produits surgelés. Il ne va pouvoir revoir Lucinda avant un bail car tous ses prochains week-ends sont pris par des obligations familiales dont il ne peut s’abstraire. La séparation constitue donc un jalon et elle induit bien une grande étape de changement puisque, face à cette « épreuve », Bob va se transformer. Au terme de cette séquence « séparation », il va prendre conscience de ses sentiments pour Lucinda. Il va les refuser, dans un premier temps, car n’oublions pas qu’il ne croit plus vraiment en l’amour et s’il a des sentiments pour la londonienne, il n’est pas certain que ce soit réciproque et se prend à douter.

Je vais donc traiter mon étape « séparation » et montrer les micro-changements qui s’opèrent au sein de cette séquence. Je choisis de traiter cette dernière sous un angle psychologique et je dois donc montrer la prise de conscience de ses sentiments amoureux par Bob. Je peux décider de construire 3 micro-changements : d’abord, la sensation d’un manque qui serait provoqué par la contemplation d’une photo prise avec Lucinda devant la tour Eiffel (oui, ça suffit pour montrer un micro-changement), ensuite, Bob regarderait des billets de train pour Londres puis fermerait brutalement la page de navigation internet (Bob est en proie au doute, il veut zapper ses sentiments naissants et se juge stupide d’envisager de partir si vite à Londres pour un week-end. Nous sommes donc dans la micro-phase de jugement/déni), puis Bob regarde une comédie romantique à la télé et, contrairement à son habitude, il la regarde jusqu’au bout car il s’identifie vraiment au personnage principal. La phrase que ce dernier prononce à la fin (un mix entre du développement personnel et une envolée lyrique) lui permet de prendre conscience que lui aussi, est amoureux, même s’il s’en défend. J’ai donc construit trois micro-changements au sein d’une séquence qui, elle, montre un changement plus global : la prise de conscience d’un sentiment amoureux. Je pourrais envisager plus de micro-changements ou moins, cela dépend de vous.

J’ai fait ce travail pour une séquence/étape de transformation. Il me reste à le faire pour la totalité de la transformation/trajectoire du personnage et ce, en appliquant une cinquième technique qui consiste à vérifier la parfaite cohérence des changements successifs ainsi que le caractère progressif de la transformation.

Une fois cette vérification faite, je m’emploie à mettre en œuvre une sixième technique, l’une des plus importantes, sans doute, qui consiste à rendre la transformation du personnage concrète (c’est, d’ailleurs, ce que j’ai fait 2 paragraphes au-dessus, et je vous explique tout ici). C’est essentiel dans un scénario, mais aussi valable dans un roman. Il y a des personnes qui pensent que les changements peuvent se montrer via des monologues intérieurs successifs. Je ne crois pas que ce soit efficace, ni souhaitable car le fait de donner à voir un changement génère beaucoup plus d’émotions que le fait de décrire / raconter a posteriori ce qui s’est produit (on est toujours dans cette idée d’appliquer le « Show, don’t tell »).

Pour rendre la transformation concrète, je dois faire découler les transformations psychologiques d’événements précis qui induisent des changements chez mon personnage. Sans acte/action/événement concret à montrer, je prive le lecteur/spectateur de la possibilité de voir comment un changement s’opère. Si je mets en scène un personnage qui passe son temps à décrire ce qui se passe en lui, j’implique moins mon lecteur, je ne lui fais pas vivre le changement en même temps que mon personnage (contrairement à ce que beaucoup d’auteurs croient. J’ai pu constater à quel point cette façon de faire nous éloignait plus du personnage qu’il ne nous en rapprochait). Voilà pourquoi je préconise fortement de toujours connecter un événement singulier à une transformation psychologique plus profonde. Ce faisant, je construis une trame narrative concrète et développe en même temps une ligne d’évolution psychologique qui sera induite par les événements eux-mêmes. Mes personnages peuvent commenter leurs transformation, dire ce qu’ils ressentent, évidemment, mais les changements doivent être induits par des événements singuliers, comme dans la vraie vie. Il en va, selon moi, de la crédibilité de l’histoire et de l’implication émotionnelle du lecteur/spectateur.

Sachez qu’il n’y a rien de plus difficile que de montrer un personnage qui se transforme car on est au croisement de la caractérisation et de la structure narrative. Quand vous y arriverez, c’est que vous serez déjà très avancé dans la maîtrise de votre art. Comme toujours, il n’existe pas de solution miracle. Il faut beaucoup tester, beaucoup écrire, mais aussi apprendre à lire, à comprendre les changements qui s’opèrent en nous, auteur.ices, en premier lieu.

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