Faut-il être un architecte ou un jardinier quand on écrit un roman, une nouvelle ou un scénario?

C’est une question qui est revenue à plusieurs reprises dans mes ateliers d’écriture : doit-on forcément tout planifier quand on écrit un roman, une nouvelle ou un scénario ?

La réponse est « non ». Aucun écrivain n’est obligé de planifier son livre à l’avance s’il n’en a aucune envie et s’il parvient à écrire au fil de l’eau et ce, au moins jusqu’à la fin de son premier jet.

La question se pose, en réalité, quand on est bloqué dans l’écriture de son livre (j’en parle ici aussi : que faire quand on est bloqué dans l’écriture d’un roman?). Les blocages ont des causes multiples, mais souvent, ils sont liés à un défaut de planification. Autrement dit, l’écrivain bloqué n’a pas été suffisamment architecte lorsqu’il a commencé à écrire. Il a été un jardinier, c’est-à-dire qu’il a semé des idées, écrit des lignes de texte en se laissant la possibilité de voir ce qui allait advenir, comme lorsqu’on observe une plante pousser.

Quand on est un écrivain-jardinier, on laisse aux personnages la possibilité d’agir en tout spontanéité. L’intrigue peut donc prendre des chemins que l’on n’avait pas imaginés, ce qui nous conduit à écrire un texte qui peut jaillir du plus profond de notre être, sans restrictions ni censure.

C’est très bien d’y parvenir et cela promet un texte original, a priori, un texte authentique, qui vient des tripes.

Bien souvent, il est très compliqué d’écrire d’une traite sans avoir planifié un minimum son roman, sans avoir réfléchi à sa structure. Plus le texte est long et dense, plus il aborde des thématiques complexes, plus il est compliqué, à mon sens, de l’écrire au fil de l’eau.

On peut être bloqué parce qu’on sent que le texte pourrait prendre plusieurs directions. On en choisit une et ce choix a des conséquences imprévues par la suite, des conséquences qu’on ne souhaite pas forcément… alors on doit revenir en arrière et là, tout se complique car un texte est comme une toile qu’on tisse. Si on défait un fil, c’est toute la trame qui est potentiellement modifiée.

Par expérience, j’aurais tendance à dire que si vous pouvez écrire votre premier jet comme un jardinier, allez-y sans hésiter. Mais préparez-vous à devenir un architecte pour écrire votre deuxième version et les suivantes. Vous aurez ainsi la spontanéité du premier jet et la structuration de la deuxième version de votre texte.

Beaucoup de scripts doctors ne jurent que par la structure. D’autres privilégient la spontanéité. Je crois vraiment qu’il faut être souple avec les manuels d’écriture et parvenir à être un architecte ou un jardinier quand c’est nécessaire.

Je fais souvent un parallèle avec l’analyse et la synthèse. Quand on écrit, il faut être capable d’aller tout au fond d’une scène mais il faut aussi être capable d’avoir un point de vue global sur son texte. Le tout étant de jongler entre le point de vue analytique pour déceler les erreurs potentielles et le point de vue synthétique pour faire en sorte que son livre forme un tout.

Soyez donc à la fois architecte et jardinier quand vous écrivez. Apprenez à avoir cette agilité d’esprit qui vous fera passer de l’analyse d’une scène à la construction d’une structure en un œil clin d’œil et ce, sans les opposer. Tout est lié, surtout dans un bon texte !

© Johanna Sebrien, 2021.